La Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) vient de présenter son rapport pour l’année 2020. Un rapport qui démontre que la pandémie du covid-19 a «offert aux criminels de nouvelles opportunités pour commettre des crimes, mettant à l’épreuve les dispositifs de contrôle et de vigilance en place». Il présente, d’autre part, les efforts fournis par la Ctaf pour mieux traquer les crimes liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.
Marouane El Abassi, président de la Commission tunisienne des analyses financières, a déclaré, dans la préface du dernier rapport de la Commission pour l’exercice 2020, que la pandémie du covid-19 a «offert aux criminels, de nouvelles opportunités pour commettre des crimes selon des procédés déjà établis ou pour «inventer» de nouvelles modalités, mettant à l’épreuve les dispositifs de contrôle et de vigilance en place». Il avance que «dans les typologies présentées dans ce rapport, une attention particulière a été accordée au crime de corruption en temps de covid-19, ainsi que la typologie de blanchiment d’argent basée sur le commerce (Trade based money laundering-Tbml) pour supplanter les modes opératoires basés sur le mouvement des personnes et de l’argent, devenus limités à cause de la pandémie».
Contrecarrer les malfrats
Pour El Abassi, la Ctaf a redoublé de vigilance pour mieux traquer les crimes liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, par la consolidation de ses moyens humains et techniques et le renforcement du niveau de sa collaboration à l’échelle nationale et internationale.
Selon lui, le rapport 2020 traduit cette performance, à travers de meilleurs indicateurs de l’activité analytique, de même que d’importants échanges entrepris dans le cadre de la coopération nationale et internationale. Mais, malgré ces efforts, «la période récente a démontré la capacité d’adaptation des criminels à un contexte particulièrement défavorable. Les dispositifs de vigilance et de contrôle devraient être sur le même niveau d’agilité, voire plus, pour pouvoir contrecarrer les malfrats, anticiper leurs agissements et garantir, chemin faisant, la stabilité et l’intégrité du système financier dans sa globalité», assure Marouane El Abassi, Il ajoute, dans ce sens, que la Banque centrale de Tunisie, en sa qualité d’autorité de régulation, n’a cessé d’améliorer le niveau de l’inclusion financière et de la digitalisation des moyens de paiement.
Il rappelle, par ailleurs, que «la Ctaf a mis en place la plateforme «Hannibal», en collaboration avec la place bancaire et les autorités chargées de l’application de la loi, en vue de contrôler le transport transfrontalier du cash» et en témoigne le dernier rapport publié par le Gafi, intitulé «Défis et opportunités des nouvelles technologies dans la lutte BA/FT».
Dans son rapport, le Gafi a présenté le projet tunisien «Hannibal Platform» comme une «Reg-tech» permettant le monitoring permanent des flux de transport transfrontalier du cash, en mettant en place une base de données appuyée sur la technologie «Blockchain» interfacée (Application programming interfaces-Apis) avec les autorités chargées de l’application de la loi et la place bancaire tunisienne.
Dans son mot de présentation, Lotfi Hachicha, secrétaire général de la Ctaf, assure que «l’année 2020 est la première année ayant suivi la mise en place du plan d’action du Gafi pour la Tunisie». Malgré la crise sanitaire, la Ctaf a pu améliorer le niveau de la production du renseignement financier. M. Hachicha assure que le nombre de dossiers traités est passé de 645 en 2019 à 1.086 en 2020, soit une hausse de 68,3%. «Sur les 1.086 dossiers traités, 451 se rapportent aux informations de soupçon donnant lieu à la production de rapports d’investigation financière parallèle, pour donner suite aux demandes de coopération reçues de la part des autorités chargées de l’application de la loi et les autorités d’investigation» souligne-t-il.
Le «Trade based Money laundering» domine
Pour ce qui est des procédés de blanchiment d’argent, le rapport fait ressortir que le «Trade based money laundering» (Tbml) demeure le procédé privilégié de blanchiment d’argent selon l’analyse stratégique menée par la Ctaf. «Au niveau des crimes sous-jacents, la fraude douanière, le faux et usage de faux, l’escroquerie, la corruption et la contrebande occupent les premiers rangs selon la même analyse stratégique», avance M. Hachicha.
Et comme réponse aux risques émergents en 2018 et 2019, la Ctaf a commencé à élaborer deux projets, dans le cadre de son activité d’analyse stratégique. Il s’agit d’une «Etude des risques de BA/FT liés aux actifs et monnaies virtuels» et une seconde «étude des risques de BA issus de la traite des êtres humains et le trafic des migrants». «Les résultats de ces études feront partie intégrante de la mise à jour de l’évaluation nationale des risques, dont les travaux seront achevés à fin 2021 et leurs conclusions seront communiquées aux autorités publiques», déclare Lotfi Hachicha.
D’après le secrétaire général de la Ctaf, la commission continue à conclure des mémorandums d’accord avec les autorités compétentes nationales, dont notamment le Centre national du registre des entreprises (Crne), ainsi que Tunisie trade Net (TTN). Sur le plan de la coopération internationale, la Ctaf est en train d’établir des échanges d’informations et de déclarations spontanées avec ses homologues à l’étranger afin de mieux cerner les fraudes.
En chiffre
D’après le rapport de la Ctaf, le nombre de déclarations de soupçon (DS) reçues a enregistré une légère baisse pour atteindre 446 DS, en 2020, contre 597 et 515 déclarations, respectivement en 2019 et 2018. Cette baisse est due à l’impact de la pandémie covid-19. Ainsi, la Ctaf a reçu, en 2020, un seul signalement de soupçon émanant d’une autorité de régulation, et ce, suite à la modification de la loi organique, opérée en 2019, permettant aux autorités de régulation et de contrôle de transmettre à la Ctaf des signalements portant soupçon de BA/FT, à l’occasion de la conduite des missions d’inspection auprès de leurs assujettis.
Le rapport montre également que la tendance de la répartition des DS, en 2020, ayant pour objet des personnes morales et des personnes physiques demeure pratiquement inchangée par rapport à la période écoulée. C’est ainsi que les personnes physiques accaparent 72% du total des DS reçues, en 2020, contre 71%, une année auparavant. 82% des DS reçues aux noms des personnes physiques ont porté sur des résidents, essentiellement tunisiens et 18% sur des non-résidents ayant ouvert des comptes étrangers en Tunisie. Cette tendance montre que le risque d’implication de personnes physiques tunisiennes résidentes dans des opérations de blanchiment d’argent (BA) est beaucoup plus prononcé en 2020. Egalement, 54% des DS reçues aux noms des personnes morales ont porté sur des sociétés résidentes sur le plan change et 46% sur des sociétés non-résidentes opérant pour l’essentiel dans le secteur du commerce international. Cette tendance, en dépit de la proportion plus élevée revenant aux sociétés résidentes, demeure pratiquement équilibrée, en termes de risque déclaré de BA.